caractère (sale et propre)

Art, Politique, Philosophie et bric-à-brac

Posted in bric à brac philosophique, la mort de la mort de la philosophie by claude pérès on 22 octobre 2007

Mathilde Monnier – Tempo 76

Oui d’accord, mais ce n’est pas tout de dire : « Dieu est mort » (Nietzsche) ou « Karl Marx, c’est fini » (Duras), ce n’est pas tout de bloquer les universaux et les idéaux… comment dire… le faire au niveau théorique, c’est fabriquer un idéal anti-idéal, c’est tout, c’est toujours un idéal. Ce n’est pas parce que les idéaux sont tombés qu’ils ne continuent pas de fonctionner : « Ce Père n’interdit le désir avec efficace, c’est ce que nous enseigne Totem et tabou, que parce qu’il est mort et j’ajouterai : parce qu’il ne le sait pas lui-même, entendez qu’il est mort (…) le désir n’en sera que plus menaçant et donc l’interdiction plus nécessaire et plus dure : Dieu est mort, plus rien n’est permis. » (Lacan). Alors, la question, c’est bien de voir jusqu’où ça va cette mort de l’idéal, il ne faut pas avoir peur de l’onde de choc, concrètement, il faut aller les voir, ces conséquences, voir tout ce que ça rend possible. On n’est pas obligés de s’enliser dedans après tout.

Alors bon, dans l’art, c’est sûr par exemple, ça, les artistes, ils ont compris tout de suite ce que ça leur rendait possible, « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée. » (Rimbaud). Il y a tout un foisonnement de possibilités dans l’art, avec des gens dont le travail, tient, marche, alors que vraiment ils n’ont rien à voir les uns avec les autres, ils ne vont pas du tout dans le même sens, ils ne se situent pas dans les mêmes… je vais dire, c’est une sorte de blague… leurs phénomènes ne se situent pas dans les mêmes structures… c’est comme ça qu’on peut voir quelqu’un comme Giuseppe Penone, la tâche prodigieuse à laquelle il se consacre, l’espèce de chose gigantesque comme ça, avec un dévouement minutieux, l’individu qui se dépasse face à quelque chose de plus grand – ça fonctionnerait presque comme un idéal – sauf que ce truc qui le dépasse, c’est l’individu qui le fait dépasser et donc précisément c’est l’individu qui le dépasse de se dépasser, c’est-à-dire, c’est ce qu’il y a de plus fort dans un idéal, parce qu’au départ un idéal c’est ça, ce n’est pas qu’une vieille chose qui ne correspond à rien, à savoir l’augmentation considérable de la puissance… et à côté par exemple il y a Rauschenberg, il n’a pas du tout les mêmes problèmes, il n’a pas du tout les mêmes besoins, les choses ne se présentent pas à lui de la même façon, ça n’a rien à voir, il est blagueur lui, il repousse les limites, il se dit « bon alors la composition dans un tableau ça marche comme ça, les couleurs, les lignes, les formes, etc… bon et si je m’amuse à faire pareil mais avec les matières ? à mettre du tissu, du bois, de l’organique, des matières nobles, des jeans, des oiseaux empaillés, etc… bon et si je continue et que je fais pareil avec le tableau lui-même, je mets une porte ici, et puis je mets une chaise à l’autre bout et je les relie, etc… », Rauschenberg, il va voir jusqu’où ça mène, il va très très loin évidemment, quand il fait ça, il dit ce que c’est l’art pour lui, à quoi ça peut lui servir et comment il peut s’en servir, là, ça, c’est rendre possible, c’est génial… et à côté il y a Sophie Calle, et c’est encore complètement autre chose, ce n’est pas à l’opposé, ce n’est pas en contradiction, c’est ailleurs, avec d’autres problèmes, d’autres bricolages, bon il y a tout ce qu’on voit au premier degré, la plupart des gens s’arrêtent-là parce qu’ils adorent les trucs de midinettes, ils ont raison, c’est là, si ça les amusent, c’est génial, mais bon, on peut aussi lui faire le crédit de savoir plus ou moins ce qu’elle fait, alors ce qu’elle fait… eh bien, elle ne fait rien ou plutôt elle fait en sorte que les choses se fassent, elle rend possible les choses… alors c’est évènementiel, on peut regarder l’événement lui-même, fantasmer sur les aléas de l’image de la personne, se dire tiens là elle est malheureuse, tiens là elle est hystérique, tiens oh la pauvre, etc… j’aurais tendance à penser que là on tombe dans le piège… ou on peut utiliser l’immense recul que ce travail prend sur l’art et toutes les questions qu’il lui pose et là, il me semble que c’est très réjouissant… bon je pourrais prendre d’autres exemples, mais quoi qu’il en soit avec la cohabitation de travaux comme ça qui n’ont rien à voir, qui ne se parlent même pas de loin, forcément, le premier truc génial, c’est qu’on ne peut pas avoir de grille de lecture pour les apprécier. Je veux dire avec des démarches aussi différentes, toutes les possibilités de définitions se paralysent : qu’est-ce que c’est l’art, qu’est-ce que c’est le beau, qu’est-ce que c’est le travail, qu’est-ce que c’est un individu, etc… sont autant de questions qui ne peuvent plus se poser. Il n’y a rien à chercher derrière, ça ne renvoie à rien, ça n’est pas l’image de quelque chose, ça ne se situe pas par rapport à un idéal et on n’en déduit rien. La seule chose à laquelle ça renvoie, c’est à la (dé)marche de l’artiste. Alors ils ont raison les gens quand ils se disent qu’ils auraient pu le faire en voyant certains travaux, parce que ça se pose précisément en ces termes, un artiste, il saisit les possibilités et il rend possible, qu’il se serve d’un truc pour en faire un truc qui sert à autre chose, ou à rien, qu’il se serve de ce dont il ne se sert pas, qu’il ne se serve pas… C’est pour ça que c’est catastrophique les courants, le « land art », le « pop art », « l’art conceptuel », non, non, l’idée c’est vraiment d’être confronté sans arrêt avec des bouts de définitions qui s’effondrent parce qu’il y a à côté quelqu’un qui fait autre chose. L’idée, c’est vraiment que toutes les portes soient ouvertes. Bon, là c’est concret, ce n’est pas une question de discussions théoriques à l’infini sur la fin des universaux, là ce sont des actes, des possibilités, de la puissance. Il faut le vivre, c’est tellement réjouissant.

Ensuite, je ne sais pas, je vais prendre un autre exemple, la politique, c’est le plus marrant, parce que les idéaux n’ont jamais fabriqué la politique, mais que pourtant c’est la politique qui en fabrique le plus. Je ne sais pas pourquoi, il faudrait vraiment que je me penche dessus, mais absolument tout dans le discours politicien tient de l’idéologie et du dogme, le social, l’économie, le droit, etc… c’est forcément articulé sur des grilles de lectures toutes faites, où chaque idée impliquent et subsument autre chose, il y a tout un jeu, que j’appelle de situation donc, qui arrive parfois à des contradictions complètement absurdes… Alors ça va être : un artiste de gauche est forcément élitiste, il y a des raisons à ça, qui tiennent en quelque sorte, par exemple son approche par rapport aux règles, à la loi de sa discipline est radicale, donc ça le situe à gauche, mais bon, au final il est élitiste… Ou avec l’économie, c’est caricatural, même les plus brillants butent forcément sur le choix entre les classes moyennes et les privilégiés et font tenir toute l’articulation de leur stratégie par rapport à leurs partis pris idéologiques… Bref, il y a tout un imbroglio de situations, d’implications, d’inductions de toutes sortes avec des idéaux fantômes qui balisent et étouffent tout. Evidemment, c’est complètement tyrannique. Je rentrerai dans le détail une autre fois, c’est très amusant. Et puis à côté, la politique c’est aussi gouverner, je ne parle pas de légiférer, ça c’est de la fabrication d’idéaux à la chaîne, mais de gouverner, de tenir un peuple,  et gouverner, c’est quelque chose de fondamentalement amoral, ça ne peut tenir compte d’aucun idéal. Ca va de passer des accords avec les uns pour diviser les autres par exemple, on vient de le voir encore pendant les grèves, jusqu’à, je ne sais pas, tuer son ennemi. Par exemple, on pourrait dire que Villepin est en train de se faire assassiner politiquement, que l’attaque est féroce et sans pitié, que ce soit ses propres stratégies qui lui retombent dessus, comme ça semble être son habitude, ou qu’il soit parfaitement innocent, peu importe, la tentative est sacrément mauvaise et revancharde. Là, on le voit quand même se débattre, c’est très dur, c’est vraiment cruel à voir, parce qu’on sait qu’il a une marge de manœuvre très ténue, puisqu’il ne peut pas se défendre, au risque d’avoir l’air d’un fou qui crie au complot.  Il ne peut que suggérer, émettre des hypothèses et jouer l’innocent, ce qu’il fait très subtilement du reste, avec un talent et un sang-froid qui épatent. Là, la division de groupes contestataires ou l’assassinat politique, ça n’a plus rien à voir avec les dogmes, on peut dire que ça va à l’essentiel, c’est même plutôt de l’ordre du combat de chiens qui essaient de sauver leurs peaux. Je pourrais prendre plein d’exemples comme ça. « Il y a si loin de la manière dont on vit à celle dont on devrait vivre, qu’en n’étudiant que cette dernière on apprend plutôt à se ruiner qu’à se conserver ; et celui qui veut en tout et partout se montrer homme de bien ne peut manquer de périr au milieu de tant de méchants. » (Machiavel) En quelque sorte on a d’un côté ce qu’on devrait faire, ça c’est la loi, c’est les dogmes, etc… et de l’autre on a la manière dont on vit. Bon, la politique, une fois débarrassée des idéaux, parce que c’est à ça que j’arrive, c’est quand on aborde la manière dont on vit, concrètement, sans les dogmes qui n’aident vraiment pas à y voir clair. Et ça n’a rien à voir avec la real politique, ça, c’est une idée gerbante, c’est vraiment un alibi pour excuser les trucs les plus dégueulasses sous prétexte qu’on n’aurait pas le choix. Ce n’est pas non plus un truc à la Saul Alinsky, du genre comprendre la réalité des gens afin de l’utiliser pour arriver à ses fins, parce que ça, c’est de la manipulation et que contrairement à lui, contrairement aux communistes, contrairement aux résistants, je ne pense pas que la fin justifie les moyens, la fin, c’est un idéal, et comme tous les idéaux, ça justifie tout et rien. Non, non, je parle d’envisager la manière dont on vit concrètement, sans idéaux en amont, sans fin en aval, sans que ce soit situé par rapport à quoi que ce soit. Vous vous rappelez ces grilles, ces définitions qui tombent dans l’art par la force des choses…

Enfin, le dernier exemple, la philosophie. A quoi elle sert, comment on s’en sert une fois les idéaux tombés ? Parce que bon, le rapport aux idéaux, il tient toujours, il est même plus resserré que jamais… Eh bien, on peut essayer de voir déjà comment il fonctionne ce rapport, regarder son articulation, sur quoi il s’appuie, et on peut voir que ce rapport, on le retrouve partout, dans les images que l’on se fabrique pour se situer, dans la situation même, et on ne va pas fermer cette piste, on ne va pas fermer de porte, ce serait idiot, on a vu plus haut que l’idéal, c’est aussi de l’augmentation de puissance, mais on peut être amené à ouvrir d’autres pistes, à aller chercher le conatus chez Spinoza, parce que lui, par exemple, il ne définit pas la substance, il la laisse à Dieu qu’il renvoie à ses affaires, Spinoza, lui il ne définit pas, il dessine une dynamique, ça fait écrouler les universaux ça, c’est très fort, ça peut être très utile, pas forcément tel quel, on peut explorer tout ce qu’on peut en faire, et par exemple avec la jouissance et la faim, qu’est-ce que ça donne ? On peut aussi aller chercher le pragmatisme machiavélien, et non machiavélique donc, qui ouvre une piste par delà bien et mal comme on dit chez Nietzsche, ça peut rendre possible beaucoup de choses ça aussi… donc dans le domaine ontologique, éthique, politique, la philosophie elle a beaucoup de possibilités à saisir et à rendre une fois les idéaux tombés. Vous voyez mieux les pistes que je m’enthousiasme à explorer maintenant ?

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