caractère (sale et propre)

organiser l’organisation : la crise rationnelle

Posted in bric à brac philosophique, LOGOS (dire, penser, agir) by claude pérès on 21 mars 2009

David Hockney – Place Furstenberg

hockneyfurstenberg-paris Alors bien sûr, avec la néoplasie hydroponique, en créant non seulement l’utilisation mais l’outil, il va falloir organiser l’organisation. Des nécessités, il y en a de plusieurs ordres… On pourrait dire, comme ça, à l’intuition, qu’il y a quelque chose contre la croyance et la superstition, que le rationalisme va s’élaborer afin de se faire plus précis, plus fiable, plus viable. Ca a l’air de ça vu de loin, une immense activité digne de confiance, digne tout court. Pourtant, si on regarde les mécanismes de cette activité, son air est tout différent. C’est que le rationalisme est une superstition, les sciences s’organisent dans la croyance. Cette activité érige des totems (la survie de mort, des êtres-morts…) et biaise ses résultats. Ce qu’il faut voir c’est plutôt qu’est-ce qui fait qu’une superstition va se substituer à une autre ? On est au niveau des fonctions là. Que cette superstition se présente comme une anti-superstition, ce n’est déjà plus du tout notre problème. Alors la superstition rationaliste, il s’agit de la regarder à l’œuvre. Je ne m’attendais pas du tout à prendre ça par ce bout, du coup je ne sais plus du tout ce que je voulais dire au départ. Enfin continuons sur cette piste…

Le mécanisme génomique du rationalisme et des sciences, il me semble qu’on l’a assez vu avec toute cette histoire d’intentification/différentiation et de rapports différentiels et situationnels. Le rationalisme établit, fixe et ordonne, il exsude une survie de mort référentielle et totémique et situe toutes sortes d’éléments épars, des perceptions, des mots, des pensées, ou plutôt il situe des simulacres de perceptions, mots et pensées auxquels perceptions, mots et pensées échappent déjà. Le rationalisme donc n’organise pas le monde mais bien l’organisation du monde. En cela, le rationalisme et les sciences constituent une tyrannie avec toute l’impuissance folle de l’entreprise.

Que l’entreprise se boursoufle, qu’elle se répande, se propage, contamine, avale et vomisse tout, qu’elle recouvre le monde, qu’elle le soumette à sa volonté désirante, ça n’est pas pour les effrayer, ni elle, ni le monde, semble-t-il. Que l’animal humain croit que le monde fonctionne comme sa parole, quand sa parole ne parle jamais que d’elle-même, même quand elle parle du monde, c’est toute la saveur de son délire. Mais peu importe. Il faut la voir se propager, cette entreprise. Vous pouvez prendre n’importe quel exemple, la croyance de ce système c’est que rien ne lui échappera plus, alors il est infiltré partout. Prenez la division du travail, cette activité qui occupe l’humanité depuis toujours. Regardez Xénophon, persuadé déjà que la spécialisation est la condition de l’excellence. Vous avez Durkheim qui en décrit précisément les mécanismes, avec tout son enthousiasme. Et les mécanismes, nous les connaissons donc : survie de mort, êtres-morts, rapports situationnels. Ca va aller jusqu’à Marx, donc, qui ne conçoit plus les corps que comme des instruments de la survie de mort commune. Le communisme, c’est l’apogée du délire rationaliste, après ça s’affole avec le capitalisme. Avec le paroxysme du néo-libéralisme, vous allez au-delà des rapports différentiels ou de la division du travail, vous allez jusqu’à l’interdépendance, délicieux paradoxe pour un système qui tire son nom de la notion de liberté, où plus aucun pays ne cultive de quoi se nourrir, mais s’inscrit dans un rapport d’échange qui le spécialise dans la production de telles choses et le rendent dépendant des autres pour tout le reste. Nommer, identifier-spécialiser, différencier-interdépendre, l’imprégnation est autocrine. Le rationalisme se fabrique lui-même.

Vous allez me dire que nous n’en sommes plus à ces histoires de brindilles et de cailloux des singes, à ces utilisations balbutiantes et précaires, que la sophistication de l’activité humaine est telle, qu’il a bien fallu organiser l’organisation, qu’on ne s’y serait pas retrouvé, que c’est même l’organisation de l’organisation qui a permis d’aller encore et toujours plus loin, etc… Classer, ordonner, spécialiser : identifier/différentier/situer. Là j’hésite à répondre. Il se trouve que le mécanisme rationaliste est parfaitement dépassé, archaïque et obsolète. On est passé aux chaînes, puis aux rhizomes… Le rationalisme n’a déjà plus aucun intérêt. Les pays peinent à résister à la lame de fond qui les emporte déjà. Mais je vous dirai quand même, tandis que le système rationalisme se voit balayé, en insistant donc, que son mécanisme est plus efficace à mettre au pas qu’à atteindre ce qu’il vise, qu’en se livrant à cette occupation d’isolations, de courts-circuits, qui épingle et fixe, réduit à rien, à un mot, une perception, une idée, un métier, une personne…, l’immensité d’un voisinage, il n’est bon qu’à halluciner un monde qu’il fabrique pour recouvrir le monde dans lequel il se condamne à être impuissant.

Je vais attraper au vol un des gènes qui dupliquent indéfiniment ce système, le concept d’être, qui est au cœur de la superstition rationaliste. Vous allez pouvoir l’appeler comme vous voulez, l’être, donc, mais encore l’identité, la qualité, le prédicat, la singularité, l’essence, etc… Je crois ne pas avoir fait que le dénoncer, je crois avoir proposer des mécanismes qui lui passent dessus, qui rendent possible de ne plus du tout prendre les choses par ce biais d’être : le voisinage, qui explose les termes d’identité et de singularités, en ce qu’il devient impossible de fixer un curseur, et la puissance qui pulvérise les termes d’être et d’essence par une organisation accidentelle, effectuée et effectuante, et mouvante.

Nous sommes là, avec dans les mains un mécanisme qui ne correspond plus à rien, qui ne répond plus de rien, qui n’en peut plus, dans un monde tue. La lame de fond continue de s’effectuer, emporte les fondements d’un système qui a fait son temps. Regardez ces sociétés ne plus pouvoir s’organiser, se démener pour tenir bon, gagner du temps, démunies, affolées devant l’épuisement d’un mécanisme qui semblait pourtant fonctionner jusque-là.

Nous voilà donc nous aussi, comme le rationalisme en son temps, débordés par des choses qui nous dépassent et ne semblent pas vouloir se rejoindre : ici la néoplasie hydroponique, là la puissance d’effectuations, ailleurs la survie de mort, plus loin le corps sans fonction. A ce moment, je dois le dire, on ne peut plus avancer, on bute, on achoppe. Nous faut-il nous aussi organiser l’organisation ? Je ne suis pas sûr que vous mesuriez le péril qu’il y a à faire un pas de plus. Qu’est-ce qu’on fait ? On s’arrête ?

J’ai fait une pause. Elle a duré plus de 10 jours. C’est pourtant comme si je venais simplement de boire un café. Enfin bon, bref, nous sommes là alors avec des leviers, des outils, des possibilités que l’on a faites sortir de la terre, que l’on a saisies et qui ne s’articulent pas entre elles, qui ne s’organisent pas. Il faut voir que nous touchons-là à quelque chose au niveau de ce qui est appelé le pattern par les psys, un pattern mental qui veut que la néoplasie hydroponique tende « naturellement » à s’articuler comme le différentiel de la réalité ; l’impuissance du désir autocrinien comme celui de la puissance ; la survie de mort, celui du corps sans fonction, etc… Vous devez peut-être même avoir déjà fait des liens depuis le temps qui voudraient qu’on aurait dans notre recherche tout un pan négatif qui dénoncerait un monde voué au délire et par ailleurs tout un niveau positif où l’on trouverait des histoires de puissance ou de voisinage comme de « nouveaux » outils que l’on proposerait. Ce ne serait jamais qu’une histoire de thèse et d’antithèse, un déroulé logique fait de parties qui se répondent et se renvoient les unes aux autres.

Je vous demande de pressentir le ravin devant lequel nous sommes. Voilà plus d’un an que nous perçons dans la roche. Nous ne pouvons plus avancer. Car ce pattern de rapports différentiels et logiques, nous le dénonçons. La réalité ne peut pas être l’opposé duel, ni le contraste de la néoplasie hydroponique ou du désir autocrinien. A quel moment on est encore dans la réalité ? A quel moment on est déjà dans l’hydroponie autocrine ? Vous voyez le flou évanouissant du voisinage. Mais même, au-delà de ces évolutions glissantes et indéfinies, la néoplasie hydroponique est la réalité, elle est effectuée et effectue, elle est puissance et en puissance. Départager, classer, identifier, relier, c’est commode, ça rendrait nos outils maniables et organisables, mais ça les rabat, les amenuise, les vide. On ne peut pas ranger l’hydroponie dans la case délire imaginaire contre la case réalité, ce serait pratique, mais ça ne peut pas marcher, ce serait délirer le délire hydroponique, l’escamoter, le prendre au mot, se faire rattraper par des notions de qualités et d’être.

Nous disons que le système est mal organisé, qu’il ne peut plus, qu’il échoue. Nous devons créer les mots et l’utilisation des mots pour le dire, les outils et l’utilisation des outils.

Il nous faudrait faire un très grand pas. Enjamber l’être et le néant. Faut-il encore en trouver la force.